Jouer dedans mais comme dehors
Quoi de mieux que la nature comme terrain de jeu ? Et si aller dehors n’est pas possible, faisons en sorte de faire entrer la nature à l’intérieur pour profiter de ses bienfaits avec une ouverture sur les découvertes libres et spontanées de l’enfant.
Depuis quelques temps, nous voyons fleurir les initiatives et projets en tous genres visant à remettre les enfants au contact de la nature. Cette tendance au retour de la nature dans les espaces dédiés aux enfants est soutenue et encadrée par des campagnes telles que « Ose le vert, recrée ta cour », « Les leçons vertes », « Les trésors du dehors », « Vitamine verte », etc. qui, toutes, tentent de ramener les enfants au contact direct de la nature.
En tant que Dispositif mobile de Soutien à l’Inclusion (DSI)[1]Caravelles, nous ne pouvions passer à côté du magnifique terrain d’expériences sensorielles et motrices qu’est la nature et de cette réflexion de fond :
- Quels sont donc les bénéfices de cette (re)connexion à la nature sur le développement des enfants ?
- En quoi cette « expérience verte » soutient-elle l’inclusion d’enfants en situation de handicap dans des structures d’accueil ordinaires ?
La nature est un terrain de découvertes inégalable. Elle équilibre et nourrit les sept sens de manière riche et variée en fonction des saisons, de la météo et des environnements (campagne, foret, mer…). Les expériences sensorielles sont véritablement la boite à outils qui permet au jeune enfant de découvrir le monde en se construisant une représentation de lui-même, des autres et de son environnement de manière à s’y adapter au mieux. Pour les enfants avec des déficiences (motrices, sensorielles, cognitives, émotionnelles, …), la richesse des propositions sensorielles qu’offre la nature est d’autant plus importante à vivre. L’imaginaire et la créativité sont loin d’être en reste…
De nombreuses études convergent et prouvent que la nature régule l’état émotionnel et psychique en diminuant la tension artérielle, le stress et l’anxiété : « 20 minutes de marche dehors suffisent à des enfants atteints de TDAH (trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité) pour retrouver une concentration comparable à celles des autres enfants. » (Etude nationale américaine publiée dans le Journal de la Santé Publique). Elle « restaure le fonctionnement mental de la même manière que l’eau et la nourriture restaure le corps » (Adam Alter Université de NY).
Pour les enfants avec des troubles du spectre autistique (TSA), être dans la nature représente un apaisement spontané. En effet, pour eux en particulier, l’accumulation de stimulations sensorielles perçues à l’intérieur (résonnance des matériaux, réverbération phonique sur les murs ou les vitres), les stimulations visuelles (nombreux déplacements de personnes dans un lieu clos), la promiscuité, etc. peuvent être sources de tensions extrêmes conduisant parfois à des passages à l’acte. A l’extérieur, ils peuvent trouver leur place en périphérie du groupe, se focaliser sur une activité qui leur fait du bien (souvent ils trouvent de quoi se balancer, ils tournent avec des vélos ou trottinettes, collectionnent des cailloux,…) – activités rarement disponibles à l’intérieur. Il arrive parfois que l’espace extérieur leur soit rendu accessible, pour eux en particulier, quand cela est possible, tant cela participe à leur apaisement et à celui du groupe.
Les grands enfants que nous sommes toujours n’ont pas oublié leurs souvenirs d’enfance : Qui n’a jamais joué avec deux morceaux de bois dans une course folle sur un circuit en terre ? Qui n’a jamais été l’aventurier à l’assaut d’une colline, brandissant pour drapeau une branche avec à son bout un morceau de tissu et, pour arme, son arc à flèches artisanal ? Qui n’a jamais fait des rouler-bouler du haut d’un talus, des cabanes dans les arbres ou de la « miche-popote » avec de la boue ? Qui ne s’est jamais allongé.e dans l’herbe pour regarder les nuages et y reconnaitre des animaux ou simplement pour rêver et sentir la chaleur du soleil sur son visage ? … L’évocation de ces souvenirs éclaire nos visages d’un large sourire car leurs empreintes sensorielles sont à jamais gravées dans nos cellules. Les ingrédients de ces plaisirs perdus sont les sentiments d’audace, de puissance, de liberté, de fierté, d’inventivité, d’imaginaire, de relation, de partage, de coopération, de vitalité, … Autant de ressentis qui participent à une bonne connaissance de soi et à notre capacité à s’adapter au monde qui nous entoure.
Plusieurs approches pédagogiques (Reggio, Pistoïa, Montessori, Pickler-Loczy notamment) mettent l’enfant au cœur d’un environnement riche et stimulant pour tous les sens. Elles ont en commun de laisser l’enfant libre d’exercer ses désirs, ses besoins, ses choix, son libre arbitre, tout cela à son propre rythme. Inspirés par ces expériences et aménagements ainsi que par les récentes découvertes en neurosciences, nous avons développé des coffrets d’éveil et de découvertes qui soutiennent cette posture professionnelle. Plusieurs coffrets regorgent d’idées de jeux naturels que les professionnel.le.s peuvent facilement s’approprier ou réaliser avec les enfants. Ces outils soutiennent des expériences à vivre et ressentir où l’adulte peut offrir à chaque enfant un regard individualisé qui tient compte de son rythme, de ses forces et de ses défis. L’adulte peut alors poser un regard neuf sur l’enfant qu’il pensait connaitre.
Malgré les évolutions positives dans les pratiques et les aménagements verts, force est de constater que, dans certaines structures d’accueil, la nature reste peu accessible voire parfois pas du tout. Dès lors, comment faire rentrer la nature à l’intérieur ? Comment dépasser les a priori et les freins que nous nous mettons en tant que professionnel.le.s ?
Dans nos missions de sensibilisation, de formation, de soutien et d’accompagnement des professionnel.le.s de l’accueil de l’enfance, nous proposons des temps d’échanges et de découvertes visant à susciter l’envie de se lancer, d’oser… D’oser dépasser certaines appréhensions liées au fait de faire rentrer la nature à l’intérieur des structures d’accueil telles que : saleté, dangers pour les enfants, présence de « petites bêtes », manque de place, réactions négatives des parents, motivation et collaboration de l’ensemble de l’équipe, intendance pour la préparation et le nettoyage, … pour donner la priorité aux temps d’émerveillement et de plaisir partagés avec TOUS les enfants.
Témoignage
“ Quand ma collègue m’a parlé de son envie de faire une activité autour de l’automne dans le local, je n’étais pas chaude en imaginant les crasses et le nettoyage que ça allait faire. Elle a amené un sac poubelle rempli de feuilles mortes. Elle a rempli la piscine à balles et deux grandes caisses dispersées dans l’espace. Les enfants, d’abord surpris, se sont immergés dans la piscine, tandis que d’autres les faisaient voler partout en rigolant. Ça sentait bon la forêt à l’intérieur. Même Arthur, qui trouve difficilement de quoi s’occuper, a rempli un seau et s’amusait à émietter les feuilles en les frottant entre ses mains. Il était souriant et serein. En voyant leur plaisir, je me suis prise au jeu, d’autant qu’on avait prévu des balais et que les enfants étaient prévenus qu’on s’arrêterait 20 minutes plus tôt pour tout ranger ensemble. A refaire, sans hésitation cette fois !” Julie, accueillante extrascolaire.
Boite à idées :
Quelques éléments récoltés dans son jardin ou aux alentours: feuilles, fleurs, pommes de pin, cailloux, mousse, paille, sable, marrons, herbe, blé, écorces, terre… peuvent donner lieu à de multiples propositions de découvertes ludiques. Et cette liste n’est bien sûr pas exhaustive…
Ainsi, ces éléments alignés dans de simples boites au sol offriront un parcours sensoriel aux enfants, qui, invités à enlever leurs chaussures pourront ressentir les sensations de textures, dureté, températures différentes sous leurs plantes de pieds, ajustant leur équilibre et leur centre de gravité à chaque pas. Les parcours sensoriels peuvent se décliner à l’infini en fonction des saisons, des régions (pourquoi ne pas ramener des coquillages de la mer, des morceaux de schistes des Ardennes,…).
Les activités créatives sont, elles aussi, infinies. Le land art est l’art de créer de manière spontanée et éphémère avec ce qu’on trouve dans la nature.
Ainsi, faire de l’eau colorée avec de l’argile, des fleurs écrasées, des légumes (choux, betteraves, carottes…) et peindre avec des plumes, rameaux, bouts de bois, pommes de pin… L’expérience prévaut sur le résultat.
Déposer des feuilles en guise de pochoirs et peindre les contours ou les utiliser comme empruntes ou tampons.
Faire des guirlandes de fleurs, de feuilles, d’écorces, …
Détourer l’ombre d’une branche ou d’une fleur collée à la vitre en plein soleil, sur un papier posé au sol… Organiser des éléments végétaux colorés dans un mandala géant dessiné au sol.
Disposer plumes, feuilles, fleurs, écorces, … sur de grandes feuilles adhésives transparentes collées aux vitres du local… Ces fresques végétales offrent des jeux d’ombre et de lumière dans la pièce.
Faire une cabane avec un drap sur une table et la remplir de mousse, de feuilles, de paille, …
Créer des décors de minis-mondes pour les figurines d’animaux de la ferme, de la forêt, de la mer…
Jouer à la dinette avec des cailloux, du pellet, des fleurs, des coquillages, de la terre, de l’eau… [2]
Créer le décor d’un livre ou jouer à bruiter les sons de l’histoire en frottant des bouts de bois, en entrechoquant des pierres, etc. Pensez aussi à l’ambiance olfactive de l’histoire… L’enfant, ainsi immergé dans l’imaginaire par tous ses sens peut prendre une place active dans l’animation de l’histoire. Toutes les déclinaisons au départ d’un élément du livre sont possibles : en chansons, en dessins, en atelier culinaire… Ne laissons pas les narines et les papilles des enfants en reste : des jardinières d’herbes arômatiques, des bouquets de lilas, des gerbes de blé, des sachets de lavande, des fraises en pots,… raviront leur palais et leur odorat.
Bien sûr le rôle de l’adulte est de veiller à la sécurité de tous avec ces éléments naturels par des consignes adaptées et une observation fine de ce que les enfants en font. Mais il s’agit aussi de développer leur sens des responsabilités individuelles et collectives et la confiance réciproque. Celle-ci se développera sur la répétition des expériences vécues. N’abandonnez pas à la première difficulté.
Avant d’être des animateurs, ne sommes-nous pas des “jardiniers d’enfants”, semant au quotidien les graines d’individus responsables et autonomes … et d’une société plus inclusive…
- Carine Vanderaa (DSI Caravelles)
- Marie Bouckenooghe (DSI Caravelles)