L’empathie chez les enfants

Littérature scientifique


  • Aujourd’hui, nous nous consacrons à la notion d’empathie. Mais qu’est-ce que c’est réellement ? Comment se développe-t-elle ?

    L’empathie peut être définie comme la capacité à reconnaître, ressentir et imaginer les expériences émotionnelles des autres personnes et à se mettre à leur place. L’empathie est un élément important du développement social et émotionnel, qui affecte le comportement d’un individu envers les autres et la qualité de ses relations sociales. L’empathie nous permet de communiquer, de créer des liens, d’aider les autres et même de se comprendre mieux soi-même en prenant conscience de l’effet positif ou négatif de nos actions.

    La littérature scientifique met en exergue deux dimensions de l’empathie :

    L’empathie émotionnelle : la capacité de pouvoir reconnaitre les émotions de l’autre et de vivre par procuration cet état émotionnel.

    L’empathie cognitive : appelée également « la théorie de l’esprit » est la capacité d’imaginer avec précision l’expérience d’autrui et de comprendre les raisons pour lesquelles l’autre ressent ce qu’il ressent.

    Ces deux dimensions sont élaborées au cours des premières années de vie de l’enfant.

    Le développement de l’empathie chez les enfants 

    Les premiers théoriciens comme Freud et Piaget ont suggéré que les jeunes enfants étaient trop égocentriques ou n’étaient pas capables au niveau cognitif d’éprouver de l’empathie. Cependant, depuis lors, une multitude d’études (entre autres Zahn-Waxler et al. 1979 ; 1992a ; 1992b, Martin & Clark 1982 ; Sagi & Hoffman 1976 ; Simner 1971) ont démontré que les très jeunes enfants sont capables de manifester une variété de comportements liés à l’empathie. Bien qu’il soit difficile de mesurer scientifiquement l’empathie chez les jeunes enfants dû à leur expression verbale limitée, il est tout de même possible de l’observer de manière comportementale, par exemple, en observant leurs réponses à la détresse d’une autre personne.

    Ces 30/40 dernières années, de nombreuses études ont mis en avant que dès les 18 à 72 heures suivant la naissance, les nouveau-nés exposés aux pleurs d’un autre nourrisson présentent souvent des réactions de détresse. Il s’agit d’un phénomène appelé « pleurs réflexes ou réactifs » ou « contagion émotionnelle ». Les nouveau-nés réagissent plus fortement aux pleurs d’un autre nourrisson qu’à divers stimuli de contrôle comme le silence, le bruit blanc, les sons de pleurs créés par ordinateur ou non humains et même leurs propres pleurs et cris (Martin & Clark 1982 ; Sagi & Hoffman 1976 ; Simner 1971).

    Cela suggère que les réactions de détresse du nourrisson aux pleurs d’un autre nourrisson ne sont pas simplement une réponse au bruit aversif des pleurs, elles seraient plutôt un précurseur très précoce de la réponse empathique. Il existerait donc une prédisposition biologique à s’intéresser et à réagir aux émotions des autres.

    D’autres études vont dans ce sens. L’une d’elles (Zahn-Waxler et al. 1992) montre qu’à l’âge de deux ans, les enfants adoptent un comportement d’aide en réponse à une détresse réelle ou simulée d’autrui. Les réponses des plus jeunes bébés sont constituées principalement d’actions physiques (pleurs…), alors qu’à l’âge de 18 à 20 mois, les tout-petits sont capables d’une grande variété de comportements d’aide comme le réconfort, les conseils verbaux, le partage et le fait de distraire la personne en détresse.

     

  • Dès la petite enfance, les enfants ont donc la capacité de ressentir de l’empathie émotionnelle. En revanche, l’empathie cognitive se développe lorsque les enfants sont un peu plus grands, vers l’entrée à l’école maternelle et primaire. Cela s’explique en partie par le fait que les capacités linguistiques des enfants se développent davantage à cet âge-là (McDonald et Messinger, 2011).

    La théorie de l’esprit ou l’empathie cognitive aide à transformer l’expérience affective précoce de l’empathie en une expérience davantage centrée sur l’autre et son expérience, ce qui permet d’en comprendre les raisons. L’augmentation de la capacité à s’identifier à l’expérience d’autrui permet aux enfants de s’engager dans des stratégies d’aide plus efficaces car ils perçoivent la situation vécue avec plus de précision. Par exemple, si un enfant voit son ami pleurer, l’empathie émotionnelle peut motiver l’enfant à vouloir l’aider, mais l’empathie cognitive peut préciser le fait que l’autre enfant est triste et a peut-être besoin d’être réconforté. Si ces deux aspects de l’empathie vont généralement de pair une fois qu’ils sont développés, ils peuvent aussi se développer de manière inégale, ce qui peut entraîner un dysfonctionnement social (McDonald et Messinger, 2011).

    Depuis les avancées des neurosciences, le concept d’empathie est souvent associé à celui des neurones miroirs. En effet, il existe plusieurs zones du cerveau impliquées dans le comportement empathique et dans le développement de l’empathie. Des études menées sur des macaques ont révélé l’existence d’une catégorie particulière de neurones moteurs, appelés neurones miroirs, qui réagissent de manière similaire à la perception d’actions chez les autres et à la production d’actions chez soi (Gallese et al. 2009 ; Iacoboni & Dapretto 2006). Il existe des preuves préliminaires, bien que moins directes et qui sont encore à investiguer, que le cerveau humain contient un système similaire de neurones miroirs (Iacoboni 2008). Attention à ne pas faire de raccourci, les neurones miroirs ne sont pas responsables du développement de l’empathie ; il est plutôt suggéré qu’ils fournissent une base neuronale permettant de relier nos propres expériences à celles des autres.

    De nombreuses autres zones du cerveau induisent l’empathie dont le système limbique bien connu pour traiter différents stimuli émotionnels. Aussi, afin d’éprouver de l’empathie mais de ne pas être submergé par une détresse émotionnelle, les mécanismes neuronaux impliqués dans la régulation des émotions sont activés dont le cortex préfrontal (Decety & Jackson 2006).

Bien qu’il y ait des facteurs internes comme les processus biologiques et génétiques impliqués dans le développement de l’empathie, il existe aussi de nombreux facteurs environnementaux qui facilitent son développement :

  • L’imitation des expressions faciales

Lorsque nous interagissons avec d’autres personnes, nous imitons souvent inconsciemment les expressions faciales d’autrui (Hess & Bourgeois 2009 ; Sato & Yoshikawa 2006) et cela commence dès la petite enfance (Meltzoff & Moore 1983). Il est d’ailleurs prouvé que le fait d’être empêché d’imiter l’autre peut nuire à la reconnaissance des émotions dans certains contextes (Oberman et al. 2007 ; Stel & van Knippenberg. 2008). En imitant les expressions faciales associées à certaines émotions, les nourrissons peuvent commencer à internaliser l’expérience émotionnelle de l’autre. Par exemple, lorsqu’un nourrisson sourit en réponse au sourire d’un partenaire social, il peut se sentir heureux parce qu’il sourit, et donc partager les émotions de l’autre. Avec l’expérience, ce sentiment d’émotion partagée peut devenir plus automatique et plus proche de l’empathie émotionnelle. De même, l’imitation des actions des autres peut faciliter le développement de l’empathie cognitive, ou théorie de l’esprit. Par exemple, un enfant en bas âge peut se couvrir les yeux et dire « J’ai mal aux yeux » lorsqu’il voit sa mère adopter des comportements de détresse similaires, ce qui peut l’aider à intérioriser, et donc à mieux comprendre la situation de sa mère. La tendance à imiter et à mimer les expériences des autres est probablement un facteur intégral de l’intériorisation des émotions et des expériences d’autrui, essentielle au développement de l’empathie (Atkinson 2007).

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  • L’éducation des enfants

Étant donné que les parents et les personnes qui s’occupent des enfants ont une influence importante sur la socialisation des jeunes enfants, il est évident que l’éducation influence le développement précoce de l’empathie. Une étude de Feldman (2007) a démontré que la synchronisation interactionnelle (comportement caractéristique de la communication humaine, qui consiste en une adaptation rythmique spontanée des deux partenaires de la relation) entre la mère et l’enfant est directement associée au niveau de l’empathie dans l’enfance et même dans l’adolescence. Plus précisément, plus les mères et les nourrissons s’accordaient et influençaient les comportements des uns et des autres au cours des jeux en face à face pendant la petite enfance, plus l’enfant exprimait de l’empathie au cours des conversations mère-enfant qui se déroulaient pendant l’enfance et l’adolescence.

La chaleur maternelle s’est avérée être un facteur important du développement de l’empathie. Les tout-petits et les enfants dont on a observé que les parents faisaient preuve de plus de chaleur à leur égard au cours de diverses interactions à la maison et en laboratoire avaient tendance à être plus empathiques (Robinson et al. 1994 ; Zhou et al. 2002). La façon dont les parents parlent des émotions à leurs enfants semble également affecter le développement de l’empathie. Dans l’ensemble, il semble que les parents qui offrent un environnement chaleureux et positif à leurs enfants et qui fournissent un modèle de sensibilité aux besoins et aux émotions d’autrui et de discussions sur les émotions avec leur enfant sont les plus susceptibles d’avoir des enfants plus empathiques.

  • Qualité de la relation parent-enfant

Les facteurs parentaux discutés précédemment sont des indices de la qualité de la relation parent-enfant. Une autre mesure de la qualité de cette relation est le type d’attachement de l’enfant qui se mesure généralement via « la situation étrange » de Ainsworth, au cours de laquelle les réactions des enfants à une série de séparations et de retrouvailles avec leurs parents sont évaluées (Ainsworth et al. 1978). Les enfants ayant un attachement dit « secure » se sentent à l’aise dans l’exploration de l’environnement, bien que bouleversés par l’absence du parent, ils peuvent vite se calmer par sa présence, ce qui met en avant une relation de confiance et d’amour avec leur parent. Les enfants dont l’attachement est insécure peuvent ignorer leur parent à son retour, rester bouleversés ou ne pas présenter de stratégie organisée pour renouer avec le parent. Certaines études ont révélé que la sécurité de l’attachement favorise le développement de l’empathie chez tous les enfants. Kestenbaum et Sroufe (1989), par exemple, ont constaté que les enfants d’âge préscolaire ayant un attachement secure réagissaient de manière plus empathique que les enfants ayant un attachement insécurisant. De même, dans une étude de psychologie sociale, l’amorçage de la sécurité de l’attachement a renforcé les réactions empathiques et inhibé la détresse personnelle (Mikulincer et al. 2001).

Il existe également des preuves qu’un attachement sécurisant peut être plus important pour le développement de l’empathie chez certains enfants que chez d’autres, ce qui démontre que l’empathie est influencée par une interaction entre des facteurs internes à l’enfant et des facteurs relationnels et environnementaux (McDonald et Messinger, 2011).

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Pourquoi favoriser le développement de l’empathie chez les enfants ?

 L’empathie joue un rôle important dans la socialisation de l’enfant et influence les comportements prosociaux et altruistes. L’empathie a également un impact sur l’internalisation des règles et de concert avec le sentiment de culpabilité, pourrait jouer un rôle dans l’apprentissage du bien et du mal par les enfants (McDonald et Messinger, 2011).

Le primatologue De Waal (2008) a mis en avant que l’empathie est un mécanisme qui favorise le comportement altruiste. De nombreuses études (Eisenberg et Miller, 1987 ; Knafo et al. 2008 ; Zahn-Waxler et al. 1992) ont mis en avant que la capacité d’empathie prédit le comportement prosocial envers les autres. Elle est également associée aux compétences sociales. Dans leur étude, Eisenberg et Miller (1987) ont constaté que des niveaux plus élevés d’empathie chez les enfants étaient associés à un comportement plus coopératif et socialement compétent.

L’empathie est également importante pour la qualité des relations. Une étude a démontré que le degré d’empathie est associé à la satisfaction des relations amoureuses chez les adultes, ce qui est important pour le maintien de la relation (Cramer 2003 ; Davis & Oathout 1987). L’empathie a aussi été associée à des niveaux plus élevés de résolution de conflits chez les adolescents, ce qui est un autre facteur important pour le maintien des relations (de Wied et al. 2007). En résumé, la capacité d’empathie est importante pour promouvoir des comportements positifs envers les autres et faciliter les interactions et les relations sociales. L’empathie est impliquée dans l’internalisation des règles qui peuvent jouer un rôle dans la protection des autres et, de manière significative, elle peut être le mécanisme qui motive le désir d’aider les autres. En outre, l’empathie joue un rôle important pour devenir une personne socialement compétente et entretenir des relations sociales significatives (McDonald et Messinger, 2011).

L’empathie se développe grâce à la contribution de divers facteurs biologiques et environnementaux : la génétique, le mimétisme et l’imitation du visage, des zones du cerveau comme le système des neurones miroirs et le système limbique, le tempérament de l’enfant, des facteurs parentaux comme la chaleur, la synchronisation parent-enfant et d’autres qualités de la relation parent-enfant. Il a été étudié également que si un ou plusieurs de ces facteurs fonctionnent de manière atypique, ils peuvent contribuer aux déficits d’empathie, tels que ceux présents dans les troubles du spectre autistique ou de la psychopathie (McDonald et Messinger, 2011). Les déficits d’empathie présents dans les troubles du spectre autistique peuvent être révélateurs de déficiences dans la capacité à adopter le point de vue d’autrui, tandis que les déficits d’empathie dans la psychopathie peuvent être révélateurs de déficiences dans la sensibilité aux émotions d’autrui. Ces « troubles de l’empathie » soulignent l’importance de l’empathie.

« La meilleure manière de développer la capacité d’empathie d’un enfant, c’est de lui témoigner de l’empathie » – Serge Tisseron

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Harcèlement et empathie : une étude de 2017


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Webinaire “Le développement de l’empathie chez les enfants” :


  • Le 1er juin dernier, un webinaire a été organisé par la FILE avec les interventions d’Arnaud Deroo et Roxane de Limelette. Toutes les informations, résumé et vidéo de ce webinaire sont disponibles sur cette page.